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Le concept d’immunité (mianyì 免疫) en médecine chinoise

Dans l’histoire de la médecine chinoise, le terme immunité a été enregistré pour la première fois lors de la dynastie Ming (1368-1644) dans un ouvrage médical intitulé “Mianyì lèi fāng” 免疫类方 (les prescriptions pour se prémunir des maladies épidémiques).

La notion de maladie épidémique appelée “yìlì” 疫疠, est un terme qui a été utilisé par les Chinois de l’antiquité pour nommer l’ensemble des maladies infectieuses qui se propagent à un grand nombre de personnes. Bien que le terme “mianyì” 免疫 traduit par immunité, est arrivé bien après l’avènement de la médecine moderne, il faut savoir que la tradition médicale chinoise avait déjà une connaissance sur la mise en application des principes de prévention des maladies infectieuses et épidémiques, qui remonte aux dynasties anciennes.

Dans le Neijing 内经 (le Classique Interne de l’Empereur Jaune, datant de plus de deux mille ans), il est dit : 

“[Lorsque] l’énergie droite est préservée à l’intérieur, le facteur pathogène ne peut se développer [au sein l’être humain]”. (正气存内,邪不可干)

“[Lorsque] le pathogène pénètre [dans l’interne], [cela indique] que l’énergie [de l’organisme] est certainement insuffisante”. (邪之所凑,其气必虚)

Ce concept ancien de l’énergie droite (zhenqi 正气), montre que les Chinois de l’antiquité avaient déjà conscience des influences climatiques et des pathogènes externes (xié 邪) qui peuvent entrer et se développer chez les individus avec une énergie vitale faible. Ces notions de zhenqi 正气 et xié 邪 permettent de comprendre les idées fondamentales du mécanisme de lutte entre l’énergie saine dans le corps et le facteur pathogène qui vient de l’extérieur.

Dans son histoire, la médecine chinoise a développé une longue expérience sur le traitement des maladies épidémiques, dont l’étude comprend les wenbing 溫病 (maladies de la tiédeur), shanghan 傷寒 (blessures par le froid) et liqi 癘氣 (facteurs pathogènes fortement contagieux). Par ailleurs, dans la Chine du 16ème siècle, il existait déjà une procédure de vaccination contre la variole. La méthode consistait à extraire les croûtes sèches causées par la maladie, de les réduire en poudre, puis de les faire inhaler au patient par le nez à l’aide d’un tube en argent. Ce fut une des plus anciennes méthodes de vaccination dans le monde ! Celle-ci a joué un rôle majeur dans la prévention de la variole.  Cette méthode d’inoculation, novatrice pour l’époque, s’est ensuite très vite propagée vers l’Europe.

small pox

Les piliers de l’immunité en médecine chinoise

La dimension holistique est la principale caractéristique de l’immunité en médecine chinoise. L’être humain est animé par le jing 精 (l’essence vitale), le qi 氣 (le souffle vital), le shen 神 (l’esprit), le sang (xue 血) et les liquides organiques (jinye 津液). Une déficience ou une mauvaise circulation de l’un de ces cinq substances vitales (que l’on considère comme les racines et les piliers de notre santé), pourra être une des causes initiales de notre baisse d’immunité.

Les principes de base d’entretien de notre immunité sont les suivants : 

  • Préserver le jing 精 en évitant le surmenage physique, sexuel et intellectuel.
  • Entretenir le qi 氣 en prenant soin de son alimentation, en régulant sa respiration et en pratiquant une activité physique régulière adaptée à ses besoins.
  • Maintenir le shen 神 en paix, en évitant les excès émotionnels et en s’accordant régulièrement des moments de relaxation dans son quotidien.
  • Favoriser une bonne circulation du sang et des liquides organiques en pratiquant régulièrement la marche au plein air, en se massant des points d’acupuncture, et boire suffisamment (ni trop peu, ni trop, juste être à l’écoute des sensations de soif).

Le déclin de l’une des cinq racines (jing, qi, shen, sang et liquides organiques), entraînera une fatigue qui s’installera dans le temps, des troubles digestifs, des problèmes de sommeil, de l’agitation mentale, des douleurs chroniques, des troubles menstruels et d’autres symptômes de manque de vitalité qui seront l’expression d’un encrassement du corps. L’organisme ne pouvant se régénérer correctement, l’immunité sera en baisse et la personne tombera plus facilement malade.

Le Ming Men 命門, la fondation du yin et du yang de notre corps

Le concept de Ming Men 命門 que l’on peut traduire par “la porte de la vitalité”, représente une région entre les deux reins que l’on considère comme la source de la vitalité, et dont la fonction est de favoriser la respiration, la digestion, la reproduction, et le métabolisme des fluides corporels.

Dans un texte médical chinois datant du 16ème siècle, le célèbre médecin Zhang Jie-Bin explique la “porte de la vitalité” ainsi : 

« Le Ming Men est la mer de l’essence et du sang. La rate et l’estomac sont la mer de l’eau et des céréales. Ils sont tous la fondation des cinq organes et des six entrailles. Cependant le Ming Men est la racine du qi originel et la résidence de l’eau et du feu. Sans cela, le yinqi des cinq organes ne peut nourrir ; sans cela le yangqi des cinq organes ne peut se répandre. En plus, la rate et l’estomac sont la terre de la province centrale. Sans le feu du Ming Men, elle ne peut être engendrée »

On peut voir dans ce texte ancien que le concept de Ming Men est assez large. En médecine chinoise, il constitue un petit feu physiologique qui va jouer un rôle majeur sur notre vitalité. C’est grâce à ce petit feu que notre bol alimentaire pourra être transformé et assimilé par notre organisme. Si ce feu est insuffisant, de par un surmenage physique et psychique, la personne présentera des symptômes de déficience du qi de la rate et des reins, son esprit manquera de vitalité, et ses membres pourront manquer de force et également être froids.

Il y a un point d’acupuncture dans la région lombaire qui s’appelle Ming Men (DM4). Ce point est situé précisément sous la deuxième vertèbre lombaire, sur la ligne centrale du dos, sur le trajet du Dumai (le vaisseau gouverneur qui est considéré comme la mer du yang). Le point DM4 peut être stimulé par l’acupression ou des techniques de massage qui consistent à réchauffer les muscles et les tissus, voire même des techniques de percussion modérée.

DM4 mingmen 命門

En été, il sera intéressant de pratiquer de la moxibustion sur la zone du DM4 afin de profiter des jours les plus chauds de l’année pour soutenir le yang et la source de notre vitalité. Cette pratique très connue en Chine, consiste à prévenir les maladies de l’hiver en été. Vous pouvez demander à votre praticien de vous faire une série de séances durant la période estivale afin de renforcer votre immunité pour les saisons froides et humides. 

D’une façon générale, il est important de garder une bonne mobilité dans la zone du DM4 afin que le feu de Ming Men puisse se déployer correctement dans notre corps. Je vous recommande ainsi de pratiquer régulièrement des étirements et des mouvements qui permettront de maintenir une bonne mobilité au niveau de cette “porte” (門).

Le méridien de la vessie (Zu Taiyang), le bouclier de notre corps

Dans la médecine chinoise, le méridien de la vessie (aussi appelé Taiyang de pied) est celui qui est le plus étendu dans le corps. Partant des yeux et circulant au niveau du crâne, de l’occiput, la nuque, du dos, des lombes, du sacrum, des cuisses, des mollets, des talons, et cela jusqu’au cinquième orteil. En somme ce méridien recouvre en majorité toute la partie postérieure de notre corps, un peu comme une carapace de tortue. Par ailleurs, Taiyang 太阳 signifie le “grand yang”, et dans la langue chinoise, ce terme est aussi utilisé pour parler du soleil. Dans la médecine chinoise, lorsque l’on parle de Taiyang, cela comprend à la fois la vessie et l’intestin grêle, qui jouent un rôle défensif.

meridien de la vessieLe méridien de la vessie recouvre donc un concept très large. En médecine chinoise ce méridien est en étroite relation avec les poumons et le métabolisme de l’eau dans notre corps. Si ce méridien est fragilisé, les facteurs pathogènes externes comme le vent et le froid vont pénétrer dans le corps plus facilement et être la cause de fièvre, crainte du froid, douleur de la nuque et d’atteinte de la fonction de descente et de diffusion du qi 氣 des poumons.

On dit en médecine chinoise, que le méridien de la vessie a un ratio de sang plus important que de qi. Par conséquent, lorsque le sang est abondant et circule harmonieusement, le Taiyang (vessie – intestin grêle) est fort et peut protéger l’organisme des atteintes externes.

Pour influencer favorablement le Taiyang, il est recommandé de travailler sur sa posture et d’éviter d’être trop recourbé sur soi, cela resserre la poitrine et empêche les poumons de déployer correctement le souffle vital dans l’organisme. Concrètement, on pourra travailler la mobilité des épaules et du cou, qui sont des zones de passage du méridien de la vessie et de l’intestin grêle. On pourra également se faire masser le point V13 (Feishu 肺俞), qui est un point majeur pour libérer les poumons, chasser le vent-froid et redonner de la mobilité au méridien de la vessie. Le guasha 刮痧 sera également un outil intéressant pour travailler cette zone.

V13 Feishu, point shu du PoumonDurant les périodes de froid et d’humidité, il est intéressant de pratiquer la moxibustion sur la zone des talons afin de renforcer le jing (l’essence vitale) et influencer favorablement le méridien de la vessie. Durant l’automne et l’hiver, je fais régulièrement cette pratique afin de renforcer mon immunité.

Le mot de la fin

Dans cet article, qui est loin d’être exhaustif, j’ai voulu vous apporter une vision d’ensemble sur le concept d’immunité et de vitalité en médecine chinoise, tout en vous prodiguant des conseils concrets sur la prévention des maladies.

Il y a tant de moyens de renforcer son immunité mais comme je l’ai mentionné plus haut, le plus important est de garder une vision globale et de travailler sur soi en prévention. C’est ce que propose la tradition médicale asiatique.

À l’heure actuelle, de nombreux produits de la pharmacopée chinoise ont fait l’objet de recherches expérimentales et d’applications cliniques dans le cadre du renforcement de l’immunité. Les plantes qui sont mises en avant sont celles qui augmentent le taux de phagocytes. Parmi eux on peut citer : 

  • Renshen (ginseng), dangshen (racine de codonopsis), ci wu jia (Acanthopanax senticosus), danshen 丹参 (salvia miltiorrhiza), baizhu 白术 (atractylodes macrocephaia), lingzhi 灵芝 (ganoderma lucidum), gouqizi 枸杞子 (lycium chinense), danggui 当归 (angelica sinensis), jinyinhua 金银花 (Lonicera japonica), huanglian 黄连 (coptis chinensis), dasuan (l’ail), fuling 茯苓 (poria coccus).

lonicera japonica

Il est important de toujours se référer à un praticien en médecine chinoise pour une utilisation adaptée de la pharmacopée chinoise. Cela permettra d’avoir une prescription adaptée à votre constitution et votre terrain.

Article rédigé par Phong Nguyen. Praticien, enseignant et auteur en médecine chinoise.

 

>>> Séminaire en présentiel avec Phong

>>> Le livre « Zhongyi Meirong 中医美容 : Bien vieillir et cultiver sa santé avec les traitements de beauté de la médecine chinoise et l’acupuncture faciale ». Par Phong Nguyen.

 

Quelques ressources :

http://www.wmp169.com/zyzlmyb.htm

http://www.shen-nong.com/

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3407399/

https://www.who.int/news-room/spotlight/history-of-vaccination/history-of-smallpox-vaccination

http://www.a-hospital.com/w/足太阳膀胱经穴